Ce soir 29 septembre 2019 :
Je suis d’astreinte pour la Maison de Naissance. Je suis susceptible d’être appelée à n’importe quel moment… Et je pense comme chaque fois à la patiente qui est à terme avant de m’endormir. Cette fois-ci, c’est une patiente qui a déjà accouché il y a 18 mois dans la chambre orange de la petite maison tout proche du grand hôpital. Que le temps passe et je réalise alors que nous avons permis à 100 bébés de naitre dans la douceur de ce cocon chaleureux.
Je repense aussi à la naissance de la maison de naissance Doumaïa qui ne fut pas simple.
Je suis sage-femme depuis 27 ans maintenant. J’ai participé à la conception, la gestation et la naissance de la maison de naissance Doumaïa à Castres. Cette naissance est le fruit d’une belle histoire entre des sages-femmes extraordinaires.
Un jour à la sortie d’une réunion, Julie me sollicite pour me proposer de mettre en place une maison de naissance dans le Tarn. Rien que ça ! Je me souviens de ma réponse : « oui mais je ne fais rien ». Dans mon cœur je disais oui bien sûr, mais j’envisageais juste de soutenir le projet par ma présence comme une aide plutôt stratégique. Ce fut une tout autre histoire : des heures de travail sur les deux mois d’été 2015 pour préparer le dossier à déposer en septembre, des réunions à profusion entre mes chères collègues et l’hôpital qui accepta d’être partenaire de l’aventure.
Le 26 novembre 2015 :
J’apprends que nous avons l’accord pour mettre en place la maison de naissance, je n’en reviens pas ! Le test de grossesse est positif ! Et en plus, c’est la sainte Delphine. J’y vois comme un signe de soutien. Des obstacles, il va y en avoir pour nous éprouver dans notre désir. Un travail de titan, des épreuves, des phases de désespérance et puis enfin l’autorisation d’ouverture le 3 mars (le jour de ma naissance : encore un hasard). La naissance de Doumaïa sera alors officielle le 10 mars 2017. Une belle naissance, le lendemain, dans les murs encore tout émus, viendra récompenser notre confiance.
Chaque naissance ici est pour moi un cadeau. Je me sens honorée de pouvoir assister à ces naissances où j’apprends toujours plus à chaque fois.
Et cela vaut bien les nuits d’astreinte où l’on ne dort que d’un œil, les heures à soutenir, à masser, à encourager, à transpirer, à douter. Je ne regrette rien et suis enfin à ma place de sage-femme, en accord avec l’image que je me faisais de ce métier à l’âge de 11 ans. Quand je disais à ma tante Marie : « je veux être sage-femme », je ne savais pas que je passerais par des déceptions. En effet, dès mon premier stage d’observation avant d’entrer à l’école de sages-femmes, ce fut une douche froide : j’avais 22 ans, il régnait une chaleur écrasante dans une toute petite salle où plein de personnes étaient affairées autour d’une femme apeurée avec les jambes sur des étriers dans un brouhaha de « poussez, poussez !» et de cris de douleur !
Je n’ai pas supporté et en rentrant chez moi en pleurs, je me suis dit que ça pouvait être autrement. Je ne voulais plus y aller le lendemain, mais j’y suis retournée, mobilisée par quelle force, je ne sais pas. Et il y a eu d’autres moments où j’ai failli abandonner. Mais toujours ce sentiment profond que « ça » pouvait être autrement.
Est-ce que je savais inconsciemment ce qui m’attendait ? Ce qui m’attendait est ce cadeau que la femme sait et a toutes les compétences pour accoucher pour peu qu’on la laisse faire. Et que nous, sages-femmes, ayons la sagesse de rester observatrices et garantes de la sécurité.
Je remercie aujourd’hui mes monitrices d’école et les médecins qui m’ont fait confiance.
Je remercie toutes ces femmes et leurs bébés que j’accompagne et qui me montrent le chemin pour être sage-femme.
Je souhaite pouvoir assister encore à d’autres naissances en maison de naissance avec mes consœurs. Consœurs sans qui je n’aurais pas pu faire ce pas–sage de l’hôpital vers l’aventure de Doumaïa.
Delphine Montalbano