La naissance de Sacha & les jolis souvenirs de sa maman

C’est Mathilde qui ouvre la rubrique des témoignages de naissances. Elle nous raconte ici sa rencontre avec son quatrième bébé, son troisième garçon, arrivé tout en douceur en Maison de Naissance.

Il est 20h, un jour de mars 2017. Je l’appelle, je le supplie, je ne sais pas comment tenir encore, comment supporter encore, que faire pour qu’il arrive enfin. Aujourd’hui tout me surprend. Je m’attendais à ce qu’il arrive dans un coup de vent, d’un claquement de doigts, que ça passerait « comme dans du beurre », quoi. Ben oui, c’est mon quatrième, et les autres ont tous rivalisé de vitesse pour naître. Il allait de soi que le quatrième accouchement serait le plus facile. J’étais rodée, mon corps savait y faire, j’allais gérer ça les doigts dans le nez.

Mais il met du temps. Dans l’ambiance feutrée de la maison de naissance, j’ai dansé sur du Bob Marley, dansé jusqu’à l’épuisement. Il lui a fallu tourner et tourner pour trouver le bon emboîtement, celui qui lui permettrait d’accéder à la sortie. Comme s’il était dans une de ces boîtes à secret japonaises et qu’il devait, de l’intérieur, trouver la bonne succession de manipulations pour que s’ouvre le couvercle.

J’ai cru que le réflexe de poussée ne se déclencherait jamais, pas plus que la douleur dans mon dos ne s’estomperait. Puis, quand le réflexe est apparu, j’ai cru que jamais je n’arrêterais de pousser. Le temps est si long que trois générations s’écoulent à rebours des années, pendant que je tourne et me retourne sur le lit à la recherche d’une position qui calmera mon impatience et ma douleur. Je tiens à présent la main d’Alma, cette femme qui donna naissance à mon grand-père un jour de janvier 1919 et qui, le lendemain, s’en fut, cette femme dont le fantôme a veillé pendant plusieurs semaines sur mon sommeil de pleine lune.

Doucement, dans un chuchotement, ma sage-femme déroule la bobine du temps, renvoyant mes fantômes à leurs années 10 : « Il approche. Si tu mets tes doigts, tu pourras toucher sa tête. » Je sens la peau de mon enfant, ses mille replis, sa douceur visqueuse. La sage-femme me guide dans les dernières poussées, m’encourage à aller chercher cette force herculéenne que chacune de nous porte cachée au plus profond, qui fait de nous plus que des marathoniennes, plus que des haltérophiles, qui fait de nous des championnes du monde de TOUT.

C’est tout ce qu’elle fait, ma sage-femme.

Elle était sans doute là pendant toute la poussée, mais je ne l’ai pas remarquée. Peut-être m’a-t-elle mis le monitoring de temps en temps, mais je ne m’en souviens plus. Dans la semi-pénombre, il y a moi, puissant navire secoué par les vagues et habité par ses fantômes, il y a mon petit passager, et un phare dans la tempête, mon amoureux, sans qui je ne saurais pas accoster.

Notre enfant apparaît, le regard tourné vers le bas. Je ne sais pas si c’est un garçon ou une fille. Je vois son petit corps de dos, ses petites fesses blanches, sa nuque à la peau ratatinée. Je le pose sur mon ventre et nous nous réchauffons.

La sage-femme ne m’annonce pas le sexe du bébé. Elle s’abstient de rompre le charme. Mon amoureux sait déjà que c’est un garçon, mais, comme la sage-femme, il sait aussi que cette première rencontre se passe dans une dimension où le temps n’a plus cours.

Et c’est ainsi que nous nous faisons, mon enfant et moi, un câlin qui dure trois générations, peut-être plus.

Ça ne s’était pas passé comme ça à la naissance de ma fille aînée. Je ne pensais alors ni à fille, ni à garçon. Je ne pensais à rien, en fait. Ce sentiment d’unité qui nous liait encore l’une à l’autre se prolongeait, tout simplement. A cet instant je n’avais pas besoin de prénom, ni de mot, ni de pensée rationnelle. Mais ma sage-femme avait hâte à ma place. A peine bébé s’était-il lové entre mes seins qu’elle me demandait, avec une excitation fébrile : « Alors, garçon ou fille ? » J’ai pensé, tiens ! c’est vrai ! et sans plus réfléchir j’ai soulevé mon bébé : fille ! Le câlin avait duré si peu de temps.

Cette fois, dix ans plus tard, c’est moi qui demande à mon enfant, après ce long, très long câlin que personne n’a pensé à interrompre : « Alors, petit cœur, comment on va t’appeler ? » Et pour savoir cela, il faut bien qu’on se décolle l’un de l’autre, le temps de regarder.

Sacha ! Notre troisième petit garçon !

Je ne garde de ce premier jour que ces mémoires floutées par l’émotion. Il n’y a même pas une photo de notre rencontre. Il faisait trop noir pour l’appareil-photo. Juste ce qu’il fallait de lumière tamisée pour que nos regards se rencontrent en toute intimité.

Trois heures plus tard, presque minuit déjà, ma mère nous accueille chez nous, au pas de la porte. J’avais longtemps craint ce retour précipité. Trois-quarts d’heures de voiture avec un périnée en compote et un bébé encore tout chaud, quelle cruauté, me disais-je ! Pour moi, c’était le seul point noir de la maison de naissances. Mais dans les faits, je n’ai pas vu les minutes passer. J’ai gardé ma main sur Sacha. Il s’est endormi. Je n’ai pas souffert, et oui, c’est vrai, je suis contente de me réveiller dans mon lit le lendemain. Contente surtout de recevoir la visite de trois petits lutins en pyjama, rayonnants et excités comme des puces, et de trouver sur la table de la salle à manger un bouquet de jonquilles cueillies la veille par trois lutins affairés.

J’ai tout dit ce qu’il y a à dire sur mes sages-femmes : une efficacité si discrète qu’on en oublie jusqu’à leur présence, elles sans qui l’accouchement serait une traversée à haut risque. Et de la maison de naissances où notre troisième garçon a vu le jour, je retiens la semi-pénombre, une lumière réconfortante et sécurisante, tout à l’opposé de l’éclairage cru d’une salle d’hôpital, une lumière douce à l’égale des sages-femmes qui y glissent comme des ombres bienveillantes.

Mathilde Perrault-Archambault, maman de Sacha, né à PHAM la maison de naissances de Bourgoin-Jallieu le 10 mars 2017

Un commentaire sur “La naissance de Sacha & les jolis souvenirs de sa maman

  1. Un bel article, avec une jolie plume qui relate délicatement l’ambiance qui peut être celle qu’on imagine en maison de naissance : bienveillante, douce,… Et bravo aux sages femmes en général, quel que soit leur lieu de travail !

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